que fait le prince charmant?

/qu’on saisisse le fil de quelque vie fantasmée et l’on voir surgir immanquablement un prince ou une princesse / doubles psychanalytiques déformants // déformés / témoins de nos existences jour après jour marchandées / mais on sait qu’il faut peu de vie à consumer pour raidir des rêves d’une insoutenable légèreté pour qu’apparaissent les signes d’une commune gravité / un poids / un contour / une couleur / une ombre / que fait le prince charmant est l’appartement témoin le lieu de la superposition de nos parcours trop réels et nos vies de côté / ébauches de corps sur débauches de rêves / candeurs infinies sur réalités trop courtes / on s’y trouve alors dans le temps des rites / des mariages et des deuils / préparatifs et attributs de la fête // et lendemains / dans la matière qui fait l’espoir de toutes celles qui sont là encore à nous demander des contes.  Carlo Oliveira

 

2001
« Que fait le Prince Charmant » Centre Culturel Saint-Exupéry, Reims
et à la Médiathèque de Vitry-le-François

 

« Toutes les femmes qui l’avaient connu furent assassinées. »

Rimbaud

II viendra, cela commence ainsi, peut-être toujours, même, par un indicatif, par un temps du futur, un avenir assuré, une certitude brodée par les petites histoires enfantines et traditionnelles, entre sœurs parfois, et les rêves soupirants, qu’il viendra, quoi qu’il advienne, passant les gouffres d’un pas, les chemins battus, les ponts noyés, les ponts blessants, puisqu’on s’y prépare depuis tant de temps d’attente, pendue à son cou, avec des poupées roses et blondes, des jeux de dînette, des soliloques ou des châteaux de fables, des énumérations d’idéaux, des projets plein le cœur et une certaine idée de la perfection, dans son coin, regardez-la rêver dans son cheminement, y seule aller, vêtue de soleils blancs, de draperies blanches, les mains blanches, rêver qu’il viendra, qu’il sortira d’un épanchement de songe et qu’il s’installera dans la vie réelle, d’espoirs ataviques, d’un village perdu de brume, d’un flot d’augures malséants et félons que la vie réelle tue les amants, ah, les beaux nuages que ça fera, dès qu’il arrivera, on l’accueillera les bras ouverts comme des plaines, il y verra tout le confort, le lave-linge, le lit, l’armoire, la table, la penderie, apparemment témoins du bonheur déjà cousu, ah qu’il est doux de s’accoutumer à son flou visage, à son idée, qu’il surgira d’un temps de fées, d’atourner tout en signes symboliques d’attente, comme un bagage prêt pour un autre temps, mais, qu’il vienne, qu’il vienne, celui dont on s’éprenne, qui tarde à venir, qu’on ne voit pas venir, est-il retardé par un changement des temps, éprouve-t-il la patience, mesure-t-il la distance qu’il faudra, l’heure venue, l’anneau vêtu, le philtre dissipé, qu’il faudra parcourir ensuite puisqu’un temps de vie ne dure qu’un instant, et l’attente, tant, plus complexe et tant plus désirable que l’objet de ce remue-ménage mais pendant quoi ce qu’elle endure de patience, la robe cou tendu vers l’à-venir qui ne vient donc elle se languit, vieillit, s’ennuie, se meurt et ne voit pas, cependant ça, qu’elle a choisi le chemin des aiguilles* qui est celui de se précipiter dans la gueule du loup et ce qui se perd dès que le loup est vu, ni le changement de couleur sous la couleur, ni quoi se trame sur l’oreiller prêt, passion dont il faut se persuader ou plutôt malheur comme trois gouttes de sang (le rouge n’annonce que du malheur), ni que le blanc n’est que tarlatane et panse les chimères, et que sous le blanc travaille le noir, ni que le mobilier, la dînette et l’électro-ménager vieillissent et n’en finissent de vieillir et ont vieilli, sont devenus vieux et décharnés, qu’ils sont déjà entrés dans une danse macabre, tant et si bien qu’ils sont squelettes devenus, et que le temps dont on s’est épris s’est enfui, à s’en jeter dans le vide des choses –     Jean-Pascal Dubost

*Dans les versions traditionnelles desquelles furent tirés le conte de Perrault et l’histoire des Grimm, le Petit Chaperon rouge, dans la traversée de la forêt, doit choisir entre deux chemins, celui des « épingles » ou celui des « aiguilles » ; or dans les sociétés rurales jadis, les épingles désignaient les jeunes filles en âge de se marier, les aiguilles, les femmes déjà épouses ; choisissant le premier pour aller chez mère-grand, la chère enfant se destine à n’être plus demoiselle…

 

à propos de l’exposition

Cette exposition met en scène le trousseau d’une mariée, taillé dans la tarlatane et brodé de rouge au point de croix.

Stérilisée pour faire des compresses, apprêtée pour consolider les vêtements, la tarlatane est une matière du soin et de l’intime, une cotonnade blanche, légère et floue, pour réparer, conforter, réconforter. Ici, elle habille à grands pans clos les squelettes métalliques d’un lit à baldaquin, d’une armoire familiale, d’une machine à laver, d’une table de cuisine…

Le trousseau, les rideaux, les taies, portent des initiales rouges, brodées par la plasticienne et sa sœur cadette, qui l’a initiée à respecter le sens du tissu, à composer avec l’irrégularité de la trame, à établir les proportions des lettres…

Ces voiles transparents, prolongés au sol par une fine poussière blanche, composent un espace, un appartement témoin, une superposition de parcours d’un meuble à l’autre.

C’est le théâtre millénaire de l’attente, de la préparation au mariage et du quotidien du couple.

C’est aussi le croquis, l’esquisse d’une violence ébauchée. Le rouge dans le blanc virginal, les robes de mariée troussées, contorsionnées, témoignent de l’affrontement des désirs, souligné par le travail photographique de Damaris Risch, accroché en miroir dans l’exposition.